Pure peinture

Ne rien justifier.

Faut-il chercher ce qu’une image représente ? Laissons-la d’abord se présenter.

Voir une peinture comme un tout, comme un monde bien habité, pouvoir y identifier des formes en voie d’individualisation et une logique possible, une organisation essentiellement de fiction mais perçue comme réelle. 

Faut-il chercher ce que ces images représentent ? Encore faut-il qu’elles se présentent. Des images sans date. Juste des images. Pour attarder son regard.  De la pure peinture. L’art des formes et des couleurs de la peinture non représentative, non figurative. 

Chaque de ces images se présente au regard comme un univers pictural pas toujours bien ordonné, établi ou préétabli. Le regard doit découvrir et inventer. Le regard crée spontanément un ordre, son ordre, forcément non exempt de fiction. C’est ce qui permet face à un univers pictural indéterminé, de jouer, d’aller dans son sens ou de résister. S’en soucier ou l’ignorer. S’y couler, le recevoir ou le rejeter.

Le regard cherche de l’ordre, fabrique une organisation. C’est ça la magie avec la peinture qui conduit à une participation active du regardeur. Pour ne pas subir un monde où l’on se sent étranger et où tout nous résiste, le mieux est de l’habiter, d’y participer, en être l’artisan singulier. La peinture tient éveillé, éveille. N’est-ce pas l’un des meilleurs remèdes contre l’assoupissement.

Quand une peinture se « présente », il n’y a pas de sens à dire qu’elle est vraie ou fausse. Elle est là, devant nous. 

Le regard crée lui-même de l’ordre dans du visible indéterminé. Personne ne veut être étranger à ce monde proposé au regard. Tout un chacun veut participer, en devenir l’ordonnateur, par imagination en y introduisant son ordre propre, une fonction de représentation non préétablie.

Quand une série de sons cesse d’être perçu comme une série de sons mais comme un tout autonome et intelligible, on dit qu’on entend de la « musique ». Utilisons donc de la même façon les mots « peinture » ou « pictural » comme on utilise les mots « musique » ou « musical ». 

Quand un assemblage de formes colorées devient pour le regardeur un tout autonome et intelligible, disons de la même manière, c’est de la peinture. De la peinture non figurative, non représentative, abstraite… Peu importe le terme. C’est devenu pictural.

Considérer la peinture pour elle-même. Chercher dans le visible, le sensible une complétude, une autonomie (un monde), un ordre propre, une compréhension ni rationnelle, ni irrationnelle, une satisfaction esthétique. Le satisfaction peut venir de tout côté. Il faut une tension préalable du regard. C’est parfois un effort !

Donner une expression propre à des gribouillis est possible. Ordonner et classer des chaos est possible. 

Car les formes deviennent mentalement manipulables comme des choses et acquièrent une expression propre. Une peinture qui convoque l’imaginaire du regardeur et le met en marche devient alors une image qui fonctionne comme un activateur ou un opérateur mental. La peinture devient pour le regardeur, un monde autonome, à part, avec son organisation totale, propre, autonome, interne sans avoir besoin de représenter quoi que ce soit. Il suffit juste de se laisser aller à ses perceptions et son imagination.

Ni utile (ni contre-indiqué) de convoquer alors un invisible ou un au-delà pour comprendre une peinture. 

Une peinture est un microcosme de formes et couleurs, chaque peinture est une proposition, une possibilité de monde autonome.

Un monde pictural, c’est l’émergence d’une intelligibilité dans un amas de formes et couleurs. Ça ne dit rien, ça fait beaucoup. Des mondes de formes et couleurs qui invitent à une attitude contemplative. Restreindre notre perception au pur regard. Sans réflexion laborieuse. Sans chercher à expliquer. Sans inclure dans une trame narrative.

Regarder de la peinture, ce n’est pas seulement voir une juxtaposition de formes de couleur, c’est déceler une organisation. C’est ça la rencontre magique avec une peinture. Une pure opération mentale. Le plaisir vient de surcroit de percevoir sa propre pensée en activité, de pouvoir ressentir sa pensée.

Face à une peinture non représentative, on est face à un chaos et on veut accéder à un monde de formes dont l’agencement deviendra intelligible. Les formes s’individualisent sous nos yeux, comme se causant les unes avec les autres. Toute signification est superflue. Chaque forme semble rapporter aux formes environnantes. Chaque forme n’est pas le « signe »  de quelque chose d’autre qu’elle-même. Chaque forme est déterminée, presque responsable.

Les formes semblent causer par les autres formes et n’ont plus besoin de tenir lieu d’autre chose.

Cette intelligibilité, ces relations de causalité sont imaginaires. Les relations sont créées par la magie du regard porté sur la peinture. Comme dans un monde réel où tout humain cherche des relations, des causalités. Parce que c’est une peinture, les formes sont causées par les formes elles-mêmes.

C’est le monde autonome imaginaire de cette peinture : un monde de formes et de couleur où rien n’est représenté (les formes ne sont pas les tenants lieu d’autres choses qu’elles-mêmes); et où rien n’est signe. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de cercles, carrés, lignes mais la perception de ces formes ne conduit pas à l’identification de signes…

Peinture non figurative : un monde sans figure, où rien n’est représenté hormis la peinture elle-même qui plutôt « se présente » car on ne se représente pas soi-même. Une peinture est, n’est rien d’autre qu’elle-même.

Des peintures qui cultivent l’indétermination. Rien n’y est objectivement reconnaissable alors que tout y semble familier. Ces peintures apparaissent parfois  comme non produites de mains d’homme mais, c’est leur paradoxe, sont perçues comme des productions humaines sans que l’on comprenne trop comment elles sont faites. Mais ce n’est guère un problème. Leur singularité et la nature de l’émotion, pure, non qualifiable car totalement non discursive, qu’elles provoquent tient pour partie à l’absence affirmée de toute possibilité de représentation, reproduction, narration ou communication. Les peintures sont présentes, bien présentes dans l’espace du Générateur mais pas pour dire quelque chose ou exprimer quoi que ce soit. Communiquer ou passer un message n’est pas leur fonction. Aucune dimension linguistique. Le language n’est pas convoqué ici.

Certaines peintures sont disposées de façon à occuper la surface des murs du sol au plafond. Certaines courent le long d’un mur ou du plafond. 

Une partie des peintures après une présentation au Générateur sera découpée pour devenir vêtement. Chaque vêtement aura son histoire propre et exhibe le souvenir de son origine, de ce moment étrange de transformation d’une peinture en un vêtement. C’est pourquoi, chaque vêtement B.painted est unique.

Quand une peinture est là, devant nous, laissons la se « présenter ». Il n’y a pas de sens à dire qu’elle est vraie ou fausse. Une peinture fonctionne comme un activateur mental en convoquant l’imaginaire du regardeur. Car les formes colorées deviennent mentalement manipulables comme des choses et acquièrent une expression propre. Une peinture devient alors, pour le regardeur, un monde autonome, à part, avec son organisation interne totale, propre sans avoir besoin de représenter quoi que ce soit. Inutile de savoir comment elle a été faite, matériellement !